Le Gouvernement reprend la main sur les jeux de hasard : régulation, transparence et enjeux d’un marché en mutation
Le 12 août 2025, lors d’un Conseil des ministres présidé par le chef de l’État Brice Clotaire Oligui Nguema, le Gabon a décidé de remettre de l’ordre dans le secteur des jeux de hasard. Après des années de fonctionnement dans l’opacité et d’exploitation par des acteurs souvent non autorisés, l’exécutif a annoncé l’application stricte des textes réglementaires adoptés en 2021 et la mise en place d’un intégrateur-agrégateur centralisé, confié à la société gabonaise e Tech SAS en partenariat avec l’opérateur canadien Esteem Média INC. Cette décision, ambitieuse et controversée, vise à restaurer le contrôle de l’État sur un secteur stratégique, à sécuriser les recettes fiscales et à protéger les consommateurs. L’analyse suivante décrit les causes du désordre, détaille les mesures prises, examine les bénéfices attendus, les risques et critiques, et explicite pourquoi cette reprise en main est cruciale pour le développement socio économique du Gabon.
Etat des lieux : un secteur longtemps hors contrôle
Opacité et illégalité : De nombreux opérateurs exerçaient sans licence, souvent depuis l’étranger, exploitant des failles juridiques et techniques pour proposer des paris sportifs, des loteries et des jeux en ligne à des parieurs gabonais. Ces opérateurs utilisaient des moyens de paiement non conformes aux règles de la Zone CEMAC, contournant le système bancaire local et échappant aux contrôles.

Perte fiscale et distorsion de l’emploi : L’absence de traçabilité et de déclaration des flux a privé le Trésor public de recettes significatives (impôts, taxes sur les jeux, TVA), tout en ne contribuant que faiblement à la création d’emplois locaux. Les opérateurs légaux se trouvaient mis à mal économiquement, minés par une concurrence déloyale.
Protection du consommateur insuffisante : Sans cadre contraignant, les parieurs étaient exposés à des pratiques frauduleuses (non paiement des gains, manipulation des cotes) et à une absence de mesures de prévention contre l’addiction ou la fraude, notamment pour les plus vulnérables.
Risques pour la stabilité financière et la souveraineté numérique : L’utilisation de moyens de paiement interdits et le flux de capitaux hors du circuit bancaire légal pouvaient fragiliser la stabilité monétaire et contourner les contrôles de lutte contre le blanchiment d’argent.
La mesure phare : un intégrateur-agrégateur obligatoire
Fonction et périmètre : L’intégrateur-agrégateur est conçu comme une plateforme technique centralisatrice par laquelle devront transiter toutes les opérations liées aux jeux de hasard — paris sportifs, loteries et jeux en ligne. Elle sert d’intermédiaire technique, de registre des transactions et de point d’accès aux services de paiement agréés.
Objectifs affichés : traçabilité des flux financiers, garantie du paiement des gains, optimisation du recouvrement fiscal, protection des consommateurs (limites de mise, contrôle d’âge, outils de prévention de l’addiction), et mise en conformité des opérateurs.
Choix des partenaires : La gestion confiée à e Tech SAS, en consortium avec Esteem Média INC, vise selon les autorités à associer une expertise locale à une expérience internationale. Le rôle d’agrégateur inclut la supervision technique, la centralisation des rapports de transactions et la liaison avec l’administration fiscale et les régulateurs.
Avantages attendus pour l’État, l’économie et les citoyens
Restauration des recettes fiscales : La mise en conformité et la transparence devraient permettre de récupérer des recettes importantes (taxes sur les jeux, impôts sur les sociétés, retenues à la source), utiles pour financer des services publics.
Réduction de l’évasion financière : La circulation des fonds via des canaux bancaires régulés permettra de mieux contrôler les flux et de lutter plus efficacement contre le blanchiment et le financement illicite.
Protection des consommateurs : Des mécanismes obligatoires (vérification d’âge, limites de dépense, alertes de risque, dispositifs d’accompagnement pour la dépendance) permettront de réduire les dommages sociaux liés aux jeux.
Niveaux de concurrence plus loyaux : Les opérateurs légalement établis et fiscalement contributifs ne seront plus concurrencés par des acteurs clandestins bénéficiant d’avantages illégitimes.
Création d’un écosystème local : L’intégration technique et réglementaire peut stimuler des emplois qualifiés (IT, conformité, data analytics), des services annexes (paiements, sécurité) et favoriser des partenariats public privé durables.
Critiques, risques d’instrumentalisation et questions de gouvernance
Procédure d’attribution et transparence : L’attribution du mandat à e Tech SAS sans appel d’offres a suscité des interrogations légitimes. Les observateurs relèvent que l’entreprise avait déjà contacté des opérateurs plusieurs mois plus tôt, ce qui nourrit des soupçons de favoritisme ou collusion. La légalité des PPP sans appel d’offres peut être respectée, mais l’absence de compétition publique fragilise la confiance.
Risque de capture réglementaire : Centraliser les flux via un seul intégrateur expose le système à des vulnérabilités — conflits d’intérêt, abus de position dominante, manque d’indépendance face aux pressions politiques ou commerciales.

Sécurité et souveraineté des données : Confier la plateforme à un consortium impliquant un acteur étranger oblige à mettre en place des garanties strictes sur la localisation des données, leur chiffrement, et l’accès des autorités gabonaises. La dépendance technologique peut poser des problèmes si elle n’est pas contractuellement et techniquement encadrée.
Efficacité administrative : La réussite dépendra de la capacité des autorités (ministères, régulateur, services fiscaux) à moderniser leurs outils, à gérer les volumes de données et à appliquer les sanctions en cas de non conformité.
Inclusion et équité : Une régulation axée uniquement sur la répression risque d’exclure des petits opérateurs locaux incapables d’engager des coûts de mise en conformité. Des mesures d’accompagnement seront nécessaires pour éviter la concentration du marché entre mains de quelques acteurs.
Conditions pour une mise en œuvre crédible et durable
Procédures transparentes et audits indépendants : Publication des contrats, audits externes, transparence sur les critères de sélection et sur la gouvernance de la plateforme (comité de pilotage, représentants de l’État, société civile et opérateurs).
Cadre légal renforcé et clair : Clarification des obligations fiscales, des sanctions, des règles de lutte contre le blanchiment et de protection des mineurs. Harmonisation avec les textes CEMAC pour éviter les contradictions de juridiction.
Gouvernance multipartite : Inclure régulateurs indépendants, représentants des opérateurs, ONG de protection des consommateurs et experts techniques dans les instances de supervision pour limiter les risques de capture et accroître la légitimité.
Plan d’accompagnement des opérateurs : Aides à la mise en conformité, calendrier progressif d’application des normes, incitations fiscales temporaires pour favoriser la transition et éviter une concentration excessive.
Sécurité technique et souveraineté des données : Hébergement local des données sensibles, normes de chiffrement, audits de sécurité réguliers, clauses contractuelles assurant l’accès des autorités pour les contrôles et la préservation de la souveraineté.
Renforcement des services de paiement légaux : Collaboration avec les banques et fintechs locales pour offrir des solutions de paiement conformes, interopérables et accessibles aux citoyens.
Comparaisons internationales et leçons à tirer
Cas de régulations réussies : Certains pays africains et européens ont instauré des plateformes centralisées ou des régulateurs puissants (ex. Royaume Uni, France, Kenya) qui ont permis d’améliorer la collecte fiscale, la prévention de l’addiction et la lutte contre la fraude. Ces expériences montrent l’importance d’un régulateur indépendant et d’une infrastructure technique robuste.
Risques observés ailleurs : Dans certains États où la régulation a été instrumentalisée, la concentration des licences a favorisé des rentes privées, la corruption et une perte de confiance du public. La transparence et la reddition de comptes apparaissent donc comme des préconditions.
Impacts socio économiques et gouvernance publique
Recettes pour le développement : Les rentrées fiscales supplémentaires peuvent être affectées à des priorités publiques (santé, éducation, infrastructure), contribuant directement au bien être collectif si la gouvernance budgétaire est assurée.
Réduction des activités illicites : Un marché formalisé réduit la place des opérateurs clandestins liés parfois à d’autres circuits illégaux (blanchiment, trafics).
Modernisation de l’administration : L’effort de régulation peut accélérer la digitalisation des services publics, améliorer la collecte de données et renforcer la capacité institutionnelle.
Confiance des citoyens : Si la mise en œuvre est transparente et protectrice, elle renforce la confiance dans l’action publique ; en revanche, l’opacité ou les soupçons de favoritisme l’éroderont.
Arguments humains et citoyens : pourquoi cela compte réellement
protection des familles vulnérables : La mise en place de garde fous contre l’addiction protège des ménages déjà précarisés dont les économies peuvent être ruinées par des pratiques de jeu incontrôlées.
Justice fiscale : Faire contribuer à l’effort national des entreprises qui tirent des revenus du marché gabonais est une question d’équité ; les citoyens bénéficient ainsi mieux des ressources générées par leur propre marché national.
Transparence et dignité : Un secteur gouverné selon des règles claires reflète le respect du citoyen, garantit des recours en cas de litige et redonne une dignité aux travailleurs locaux du secteur.
Espoir pour l’entrepreneuriat local : Un cadre légal stable et transparent crée un terrain propice à l’innovation locale, à la création d’entreprises technologiques et à l’emploi qualifié.
Perspectives et recommandations opérationnelles
Court terme (0–6 mois) : Publication des modalités détaillées de l’intégrateur, calendrier de mise en conformité, transparence sur le contrat avec e Tech SAS, campagne d’information publique sur les changements et protections des joueurs.
Moyen terme (6–18 mois) : Mise en route technique de la plateforme, audits indépendants, renforcement des capacités des services fiscaux et du régulateur, dispositifs d’accompagnement pour les opérateurs.
Long terme (18–36 mois) : Évaluation publique et indépendante de l’impact fiscal et social, ajustements réglementaires, extension possible du modèle à d’autres secteurs digitaux à risque, promotion d’un écosystème local souverain.
Pourquoi cette reprise en main est importante
La décision du gouvernement gabonais de reprendre le contrôle du secteur des jeux de hasard est plus qu’une simple opération administrative : elle vise à rétablir l’ordre juridique, protéger les citoyens, sécuriser des recettes publiques substantielles et moderniser la gouvernance économique du pays. Si elle est conduite avec transparence, accompagnée d’un renforcement institutionnel réel et assortie de garanties techniques et juridiques, elle peut transformer un marché opaque et prédateur en un secteur régulé, contributif et responsable. À l’inverse, sans garanties de procédure, d’indépendance et d’équité, elle risque d’engendrer une concentration des rentes et d’alimenter la défiance publique. Les autorités portent donc la responsabilité de prouver que l’intérêt général guide cette réforme — en publiant les contrats, en ouvrant le jeu à l’examen indépendant et en plaçant la protection des citoyens au cœur de l’action