Au nom de la Mémoire : Un Défi pour l’Identité Nationale Gabonaise
La question de la dénomination des édifices publics est, dans toute nation, un acte éminemment politique et un puissant outil de construction de la mémoire collective.
Au Gabon, le constat est clair et soulève une vague d’interrogations légitimes chez de nombreux citoyens : le paysage urbain et institutionnel semble figé autour des noms des deux premiers présidents, Léon Mba et Omar Bongo Ondimba. Si leur rôle historique est incontestable, l’omniprésence de leurs patronymes sur les infrastructures majeures (aéroports, lycées, assemblées, universités, l’hôpital, villes) pose la question d’une mémoire sélective et de l’équité de la reconnaissance nationale.

Le Constat de la Concentration Nominale : Un Monopole Mémoriel Un simple inventaire des grands édifices révèle une concentration remarquable, conférant aux deux premières figures présidentielles un quasi-monopole dans l’onomastique publique : Personnalité Exemples d’Édifices Notables Léon Mba Aéroport International de Libreville, Lycée, Assemblée Nationale, Carrefour. Omar Bongo Ondimba Université, Lycée Technique, Sénat, l’hôpital, Ville.
L’Analyse de la Répétition : Ce phénomène n’est pas anodin. Il s’agit d’une stratégie de légitimation post-coloniale qui vise à ancrer la nouvelle souveraineté dans des figures tutélaires fortes. Cependant, à force de répétition, ce qui était un hommage se transforme en réduction de l’histoire. Pourquoi ces deux noms et seulement ces deux ? Leurs noms sont liés à l’Indépendance et à une longue période de stabilité politique. Ils symbolisent la fondation et la pérennité de l’État.
Mais l’histoire d’un pays est un fleuve, pas deux sources. Quel message pour les nouvelles générations ? L’absence d’autres noms dans l’espace public institutionnel majeur peut laisser croire que l’histoire gabonaise se résume à une ligne droite de succession présidentielle, occultant la richesse et la diversité des contributions nationales. Le projet de donner à la nouvelle salle de conférence le nom d’Omar Bongo Ondimba, alors que tant d’édifices portent déjà son nom, est perçu comme une continuation de ce réflexe mémoriel et ravive la frustration citoyenne.
L’Éviction des Autres Héros Nationaux : Une Occasion Manquée L’un des arguments les plus forts des compatriotes est que le Gabon regorge de combattants, d’artistes, de penseurs et de sportifs dont le dévouement et les réalisations ont fait la fierté de la nation et méritent une reconnaissance durable.
Catégories de Personnalités Oubliées : Les Figures Politiques et Militantes Oubliées : Au-delà des présidents, de nombreux pères de l’Indépendance, militants des premières heures, et figures de l’opposition démocratique ont façonné le débat politique et lutté pour une démocratie véritable. Pourquoi ne pas nommer une école ou un centre administratif d’après un opposant historique ou un syndicaliste majeur ?

Les Hommes et Femmes de Lettres et de Culture : Le Gabon possède de grands écrivains, des chanteurs de renommée internationale, et des hommes de culture qui ont exporté l’identité gabonaise. Donner leur nom à une bibliothèque, un musée, ou un centre culturel serait un puissant encouragement pour la jeunesse et une reconnaissance de la soft power nationale.
Les Sportifs et les Scientifiques Émérites : Les sportifs de haut niveau qui ont fait flotter le drapeau national ou les scientifiques qui ont contribué à la recherche méritent leur place.
Une infrastructure sportive ou un laboratoire pourrait porter leur nom pour inspirer l’excellence. Questions Cruciales pour les Autorités : Pourquoi cette frilosité à diversifier les hommages ? Y a-t-il une peur implicite de reconnaître des figures qui pourraient symboliser une alternative politique ou idéologique ? La reconnaissance est-elle réservée aux défunts ? Pourquoi ne pas honorer des Gabonais encore vivants qui ont marqué l’histoire, pour signifier que la reconnaissance n’est pas qu’un acte posthume ? L’Événement de la 5e République : Le passage à la 5ème République et à la Transition représente un moment de rupture et de renouveau. N’est-ce pas l’occasion rêvée de réécrire l’espace mémoriel en honorant ceux qui se sont battus pour la démocratie, l’équité, et l’intégrité ?
Vers un Rééquilibrage Mémoriel : Construire l’Identité de Demain Les édifices publics ne sont pas de simples constructions ; ils sont des marqueurs d’identité et des lieux de pédagogie civique. La persistance des mêmes noms sur de nouvelles infrastructures est un échec de la transmission et un mépris pour la diversité des parcours nationaux.

Les Principes d’un Nouvel Arbitrage : Dépolitisation de l’Hommage : Le processus de nomination doit être moins centré sur la figure du chef d’État et s’ouvrir à un comité de réflexion incluant des historiens, des universitaires, et des représentants de la société civile. Thématisation Logique : Donner des noms en fonction de la vocation de l’édifice. Un lycée devrait idéalement porter le nom d’un grand pédagogue ou d’un homme de lettres. Un hôpital, le nom d’un pionnier de la santé publique.
Cela donne du sens et de la profondeur à l’hommage. Inclusion et Démocratisation : Penser à l’équilibre régional, aux femmes gabonaises (souvent oubliées dans la toponymie officielle), et aux figures qui incarnent les valeurs de probité et d’engagement citoyen nécessaires à l’avenir de la République.
En conclusion, les dirigeants de la 5ème République ont l’opportunité de mettre fin à cette logique de personnalisation excessive du patrimoine national.
Il est temps de reconnaître la pluralité des bâtisseurs du Gabon. Chaque nouvelle construction, chaque nouveau lieu public, doit devenir une chance d’honorer ceux qui ont fait la fierté et l’histoire du Gabon, qu’ils soient politiques, artistes, sportifs, ou militants, pour construire une mémoire nationale plus riche, plus juste, et véritablement rassembleuse pour tous les Gabonais