Gabon : La nouvelle réforme des partis politiques, entre exigence démocratique et questionnements citoyens
Introduction : un contexte de réforme politique sous tension
Depuis plusieurs années, le paysage politique gabonais est marqué par une forte fragmentation et une saturation des formations politiques. Nombreux sont ceux qui estiment que cette pluralité, si elle témoigne d’un pluralisme réel, devient aussi une source de divisions et d’instabilités chroniques. En réponse à ces préoccupations, lors du Dialogue National Inclusif, une volonté claire s’est dégagée : rendre les conditions de création et de fonctionnement des partis plus exigeantes, afin de renforcer la qualité de la démocratie et assurer une meilleure représentativité.

Ce contexte a abouti, lors du Conseil des ministres du 4 juin 2024, à l’adoption d’un nouveau projet de loi relatif aux partis politiques, qui modifie substantiellement les règles d’accès, de fonctionnement et de financement de ces formations. Sur le fond, cette réforme soulève des enjeux à la fois politiques, démocratiques et sociaux. Sur la forme, elle pose aussi la question de la cohérence entre les discours officiels et les décisions concrètes prises sur le terrain.
Les grandes lignes de la nouvelle législation : des exigences renforcées pour l’enracinement des partis
Le projet de loi adopté prévoit plusieurs dispositifs visant à renforcer la représentativité et la légitimité des partis politiques :
• Le seuil d’adhérents : désormais fixé à 9 000 adhérents répartis dans les neuf provinces du pays, contre 18 000 précédemment.
• L’obligation de participation électorale : un parti qui resterait inaudible lors de deux scrutins consécutifs perdrait automatiquement son statut légal.
• Le contrôle renforcé du financement : avec l’obligation d’une comptabilité transparente, sous supervision de la Cour des comptes, afin d’éviter toute forme de corruption ou de financement occulte.
• L’obligation de représentativité : visant à favoriser la présence géographique et sociale des formations, en imposant celles qui n’auraient pas suffisamment de poids dans l’échiquier national de se voir exclues.
• L’accès aux médias publics : constitution d’un droit pour tous les partis représentatifs d’accéder aux médias institutionnels, afin de garantir le pluralisme de l’information.
Le dispositif introduit également une période transitoire de six mois pour que les partis existants puissent se conformer aux nouvelles exigences sous peine de suspension, puis de radiation en cas de non-respect durable.
La contradiction flagrante : la baisse du seuil d’adhérents, une mesure questionnée
L’un des points qui suscite le plus de perplexité concerne la réduction du seuil d’adhérents requis pour la création d’un parti, qui passe de 18 000 à 9 000 membres. Lors du Dialogue National, la majorité des participants, y compris la société civile, laissaient entendre qu’un seuil qui favorise la représentativité effective devait être maintenu ou même renforcé : cela aurait permis d’éviter la prolifération de formations politiques marginales, souvent instrumentalisées ou créées pour des raisons ethniques ou personnelles.
Or, c’est précisément l’inverse qui a été décidé : pourquoi a-t-on abaissé ce seuil ? La réponse officielle évoque une volonté de faciliter l’accès à la scène politique, mais les citoyens, et parfois même certains acteurs politiques, s’interrogent : qu’est-ce qui a motivé ce changement à la dernière minute ? Quelles forces ont pesé pour que ce seuil soit réduit de moitié, alors que la logique démocratique aurait plutôt voulu l’augmenter afin d’éviter la création de partis fictifs ou démagogiques ?
Ce revirement soulève une question centrale : si la volonté est réellement de renforcer la représentativité et la qualité du débat démocratique, pourquoi avoir adopté une norme moins exigeante ? Certains analystes pensent que cette baisse pourrait ouvrir la porte à de nouvelles formations facilement créables, favorisant en réalité une fragmentation excessive du paysage politique et rendant le contrôle plus difficile pour l’État.
La crédibilité du processus : un gap entre discours et réalité ?

Le processus inclusif ayant abouti à cette réforme du cadre législatif sur les partis politiques a été présenté par le gouvernement comme une étape majeure vers la consolidation de la démocratie gabonaise. Lors du Dialogue National Inclusif, il avait été souligné que la réforme devait respecter principes de transparence, d’équité et de représentativité, tout en renforçant la capacité des formations politiques à jouer leur rôle dans la vie démocratique.
Cependant, de nombreux acteurs politiques, citoyens, et observateurs internationaux expriment une grande méfiance quant à la sincérité de cette démarche. Après l’annonce officielle, la réalité sur le terrain semble souvent contredire ce discours, révélant un décalage préoccupant entre les promesses faites et les actes posés.
Les signaux de méfiance : une réforme qui soulève des doutes
• Un processus opaque : La procédure d’adoption du projet de loi s’est déroulée dans un contexte peu transparent, avec peu ou pas d’espace de consultation large et publique. La société civile et certains partis politiques dénoncent une démarche « à la hâte », voire une démarche qui aurait été dictée par des impératifs politiques plutôt que par une réelle volonté de réforme profonde.
• Le manque de participation légitime : La consultation effective a été limitée, avec une représentation souvent perçue comme contrôlée ou biaisée en faveur des pouvoirs en place. La réduction du seuil d’adhérents, par exemple, aurait pu faire l’objet d’un débat plus large, mais elle semble avoir été décidée dans un cercle restreint, sans réelle volonté d’écoute des différentes sensibilités.
• Une législation qui crée de la confusion : La baisse du seuil d’adhérents fait peser la suspicion d’un laisser-faire, favorisant une multiplication de partis éclatés ou de formations purement formatives, voire instrumentalisées à des fins électoralistes ou clientélistes.
• Les attentes non satisfaites : Lors du dialogue, des engagements avaient été pris pour renforcer la crédibilité du processus électoral, pour mettre en place des mécanismes de contrôle sérieux, et pour garantir la transparence dans la gestion des finances des partis. Or, ces engagements restent à ce jour largement non tenus ou peu suivis d’effets concrets.
La dualité entre discours institutionnel et pratiques concrètes
Pour certains citoyens et acteurs politiques, cette discordance traduit une forme de « cynisme administratif » où le discours officiel sur la démocratie et la transparence masque en réalité des logiques de préservation du statu quo ou de contrôle accru du système. La réforme, ainsi conçue, pourrait apparaître comme une façade visant à donner une légitimité formelle à des processus qui, dans la pratique, limitent plutôt l’expression démocratique en consolidant un certain pouvoir.
Par exemple, la nouvelle obligation d’un nombre minimum d’adhérents, abaissé pour certains, vise en théorie à garantir une représentativité réelle, mais en pratique, peut servir à faciliter la création de nouvelles formations sans véritable consolidation locale. La participation électorale forcée, quant à elle, pourrait renforcer une perception de contrôle plutôt que de véritable démocratie participative.
Un risque de fragilisation et de détournement de la démocratie
Au-delà de la légalité formelle, cette situation pose la question du véritable sens du processus démocratique au Gabon : une démarche sincère visant à renforcer la pluralité et l’engagement civique ou une manœuvre visant à assainir le paysage politique sans changer réellement la nature des rapports de pouvoir ?
Plus concrètement, une réforme perçue comme peu crédible peut accentuer le sentiment de désillusion et de méfiance chez une population déjà sceptique envers ses institutions. Elle risque également d’encourager les acteurs politiques à détourner le cadre législatif pour servir des intérêts personnels, plutôt que des enjeux collectifs.
Conclusion : une réforme à moraliser et à crédibiliser
Pour que cette réforme porte réellement ses fruits, il est essentiel que le Gouvernement, la société civile, et les acteurs politiques œuvrent à instaurer une véritable culture de transparence et d’inclusion. La crédibilité du processus ne peut être assurée uniquement par la législation, mais doit aussi résulter d’un engagement sincère à respecter les principes démocratiques dans la pratique.
Il faut donc :
• Renforcer le dialogue et la participation citoyenne : multiplier les consultations publiques, organiser des débats ouverts avec les acteurs politiques, la société civile et le grand public, et veiller à ce que toutes les versions finales des textes et décrets soient rendues accessibles et expliquées de manière transparente. Cela permettrait non seulement de légitimer la législation, mais aussi de corriger les éventuelles insuffisances ou incohérences perçues par la population.
• Mettre en place des organes indépendants de contrôle : créer des commissions ou des institutions spécialisées, dotées de moyens et d’un pouvoir d’investigation, chargées d’assurer le respect de la légalité, la transparence des processus législatifs, et la surveillance du financement politique. Ces organes devraient fonctionner de manière autonome, sans ingérence politique, afin de garantir la crédibilité et la crédibilité du cadre démocratique.
En somme, la réforme législative devrait s’accompagner d’un véritable changement de culture politique, basé sur la transparence, l’écoute et le respect des principes démocratiques fondamentaux. La crédibilité à long terme du processus dépendra de la capacité des autorités à instaurer une confiance renouvelée entre l’État, les citoyens et les acteurs politiques.