La Politique de Bourses d’Études du Gabon : Entre Limitations Financières, Fuite des Cerveaux et Perspectives d’Avenir
Le récent voyage du Président Brice Clotaire Oligui Nguema aux États-Unis, marqué par la réception de la diaspora gabonaise et des étudiants, a suscité une vague de réactions, de réflexions et de questionnements quant à la politique éducative et aux stratégies de développement du Gabon. La décision de suspendre les bourses d’études pour les États-Unis, la France et le Canada à partir de 2026, motivée par des considérations économiques et par la constatation que peu d’étudiants reviennent après leurs études, soulève des enjeux cruciaux pour l’avenir du capital humain gabonais. Que faut-il alors faire pour encourager ces jeunes à revenir, à s’intégrer dans le tissu économique national, et comment l’État peut-il mieux accompagner cette génération de futurs cadres ?
Un constat difficile mais nécessaire

Le Président a exprimé un point de vue qui peut paraître drastique mais qui s’appuie sur une réalité économique et sociale : le coût élevé des études dans certains pays occidentaux, combiné à un faible taux de retour des étudiants vers le pays d’origine, met à mal la gestion des fonds publics alloués à la formation à l’étranger. Selon lui, cette fuite des cerveaux ne contribue pas au développement du Gabon mais au contraire fragilise ses perspectives à long terme. La décision de suspendre ces bourses vise donc à rationaliser les dépenses, tout en orientant les jeunes vers des destinations plus économiques et plus alignées avec le marché local, telles que les universités africaines du Maghreb ou d’Afrique de l’Ouest.
Cette logique de redéploiement n’est pas sans compassion ni sans poser des questions essentielles : comment faire en sorte que ces investissements en formation ne se transforment pas en perte irrémédiable de capital humain ? Que faire pour inciter ces jeunes à revenir dans leur pays après leurs études ? Quelles stratégies à long terme l’État peut-il mettre en œuvre pour assurer un réel retour sur investissement social et économique ?
La réalité des étudiants qui ne rentrent pas : entre dilemme individuel et défi national
Si l’on partage l’avis selon lequel les étudiants formés à l’étranger devraient revenir au pays pour contribuer à son développement, il est crucial de ne pas perdre de vue la complexité de la situation. En effet, pour beaucoup d’entre eux, le retour ne constitue pas une étape évidente ou automatique. À leur arrivée, ils se heurtent à plusieurs obstacles : le manque d’opportunités, l’insuffisance d’infrastructures, ou encore la difficulté à faire reconnaître leurs diplômes et compétences sur le marché du travail local.
L’un des exemples illustrant cette difficulté est celui de Mintsa Rebellah Philippe, un jeune gabonais qui a effectué ses études supérieures au Maroc, dans une filière stratégique : Master 2 en Finance et Économie Appliquée, avec une spécialisation en Comptabilité, Contrôle et Audit. Titulaire d’une maîtrise solide, parlant couramment l’anglais et l’allemand, Mintsa aspirait à poursuivre un doctorat pour approfondir ses compétences. Cependant, lorsqu’il a voulu continuer son parcours, il s’est retrouvé confronté à un problème majeur : l’arrêt probable de sa bourse de financement à l’étranger, combiné à une absence de réponse concrète et d’opportunités en faveur de son intégration dans la fonction publique ou dans le secteur privé au Gabon.
Face à cette situation, Mintsa Rebellah a décidé d’agir de manière proactive. Il a déposé son dossier, accompagné de son CV, auprès de plusieurs organismes publics et privés, notamment le Ministère du Budget, le ministère des Comptes Publics, ainsi que la Présidence de la République. Malgré ces démarches, il n’a reçu aucune réponse depuis septembre 2023, ce qui a fortement découragé ses ambitions de revenir s’insérer dans le tissu économique national.
Pour lui, et pour de nombreux autres jeunes diplômés, cette absence de réponse et de perspective concrète crée une incertitude qui devient difficile à gérer. Il se pose alors une série de questions : Pourquoi les autorités ne facilitent-elles pas l’intégration de ces jeunes, qui ont investi des années dans leur formation ? Quelles sont les véritables politiques en place pour valoriser leur expertise et leur contribution future ?
Ce cas soulève plusieurs enjeux majeurs pour le Gabon. Tout d’abord, il met en évidence que le simple fait de financer des études à l’étranger ne garantit pas une intégration automatique dans le marché du travail national. Ensuite, il révèle que bien que la majorité de ces jeunes souhaitent revenir et servir leur pays, ils se heurtent à une réalité du marché souvent peu favorable, où il manque des mécanismes pour leur offrir une insertion rapide et efficace.
Quelles solutions concrètes pour améliorer cette situation ?
Il est impératif que l’État pérennise et renforce la cohérence entre ses politiques éducatives, économiques et sociales. Pour cela, plusieurs pistes peuvent être envisagées:
• Création d’un guichet unique de gestion des diplômes et reconnaissances professionnelles : afin d’accélérer et simplifier l’intégration des jeunes issus de formations étrangères dans la fonction publique ou le secteur privé. La reconnaissance des diplômes et l’équivalence doivent devenir une étape fluide et fiable.
• Mise en place d’un dispositif d’accompagnement personnalisé : à travers un point d’accueil dédié, qui guide le jeune dans ses démarches professionnelles, l’aide à rédiger un CV attractif, le conseille dans ses démarches de recherche d’emploi ou de création d’entreprise.
• Développement d’un marché de l’emploi national dynamique et structuré : L’un des leviers essentiels pour encourager les jeunes diplômés à revenir et à s’insérer efficacement dans le tissu économique national est de construire un marché de l’emploi dynamique, cohérent et accessible. Une telle stratégie repose sur une transformation profonde de l’écosystème économique, via des partenariats solides entre l’État, les entreprises privées, les institutions financières, et le secteur de l’entrepreneuriat.
Création de partenariats multisectoriels

L’État doit jouer un rôle catalyseur en établissant des accords de coopération avec les entreprises publiques et privées, afin de définir les secteurs clés en développement qui ont besoin de compétences hautement qualifiées. Ces secteurs peuvent inclure l’agriculture moderne, l’énergie renouvelable, le numérique, la finance, la santé, la technologie de l’information, et l’industrie manufacturière.
Par exemple, dans certains pays, des dispositifs de “pôles de compétences” ou “clusters” ont été mis en place : ils rassemblent plusieurs entreprises et institutions pour développer une filière précise, tout en créant un cadre d’emploi et de formation continue adapté. Pour le Gabon, cela pourrait se traduire par la création d’incubateurs industriels ou numériques qui aillent de pair avec des programmes de stages ou d’emplois garantis pour les jeunes diplômés.
Fonds de soutien à l’emploi et à l’innovation
Afin de faciliter l’insertion, une politique financière proactive est indispensable. La mise en place d’un fonds de soutien à l’emploi permettrait d’accorder des subventions ou des exonérations fiscales aux entreprises qui recrutent des jeunes diplômés, en particulier ceux formés à l’étranger ou dans des secteurs stratégiques. Par exemple, des crédits d’impôt pour les start-ups innovantes ou des primes à l’embauche peuvent être envisagés.
Le développement des plateformes numériques de mise en relation
Un autre aspect crucial est la digitalisation du marché de l’emploi. La création d’une plateforme nationale d’offres d’emploi, où les jeunes diplômés peuvent déposer leur profil et postuler à des postes correspondant à leurs compétences, est une étape essentielle. Cet outil doit être accessible, transparent, et en lien avec les besoins réels des employeurs. En complément, des applications mobiles peuvent faciliter l’accès à ces services, surtout dans un contexte où l’usage du mobile est en forte croissance en Afrique.
Incitations à l’entrepreneuriat local
Créer une dynamique entrepreneuriale pour les jeunes diplômés est aussi une solution. Faciliter l’accès au financement à travers des microcrédits ou des fonds d’amorçage, offrir des formations à la gestion d’entreprise, et instaurer un cadre juridique simple pour la création d’entreprises sont autant d’actions à prioriser. La naissance d’un écosystème entrepreneurial florissant encouragera la création d’emplois et favorisera la diversification économique.
Exemple de modèle réussi : le Rwanda et le Sénégal
Certains pays africains, comme le Rwanda et le Sénégal, ont mis en place des stratégies innovantes pour renforcer leur marché de l’emploi, en s’appuyant sur des partenariats publics-privés, la digitalisation, et la formation ciblée.
Le Rwanda est souvent cité comme un exemple de réussite dans le développement d’un écosystème entrepreneurial dynamique. Le gouvernement a créé en 2010 le « Rwanda Development Board » (RDB), qui agit comme un guichet unique pour faciliter l’investissement, la création d’entreprises, et l’intégration des jeunes dans le marché du travail. Il a aussi investi dans des hubs technologiques, comme le Rwanda ICT Chamber et d’autres incubateurs, où l’État collabore avec le secteur privé pour offrir des formations, des stages, et des opportunités d’emploi dans le numérique, une filière en forte croissance. La plateforme “Kigali Innovation City” est en train de devenir un phare pour l’innovation, attirant des jeunes entrepreneurs et des investisseurs étrangers.
Le Sénégal, de son côté, a lancé le programme « Y’En A Marre » et divers fonds d’aide à l’entrepreneuriat jeunes, tout en développant des clusters dans des secteurs comme l’agriculture, la pêche, et les TIC. La stratégie repose aussi sur la dématérialisation des démarches administratives, la simplification du processus de création d’entreprise, et le développement de filières spécifiques avec des partenaires internationaux.
Ces exemples montrent que la combinaison d’une vision stratégique claire, de partenariats multisectoriels, et d’un soutien financier structuré permet de créer un environnement favorable à l’insertion professionnelle des jeunes. Pour le Gabon, cela pourrait se traduire par la mise en place d’incubateurs locaux, la création d’un axe numérique, ou encore la mobilisation d’investissements privés pour des formations et des projets pilotes dans des secteurs clés.